Dans quelle dimension un corps peut-il s’engager afin de raconter ou évoquer quelque chose ? Voici la première question qui m’habite lorsque la nécessité de créer me vient, car l’essentiel de mes recherches pourrait se résumer à donner une traduction sensible à ce qui peut paraître dans un premier temps abstrait. J’ai besoin avant tout de parler de nous : des êtres humains que nous sommes et que j’observe avec autant de fascination que d’aversion. Nous tous, petits et grands, riches et moins riches, un peu perdus entre la tentation de jouir d’un monde moderne ultra-efficace gourmand et confortable d’une part, et la culpabilité grandissante face aux enjeux climatiques que ce mode de vie représente jusqu’à notre impuissance quant aux sanglants conflits de territoires qui continuent (encore) d’éclater d’autre part… En fait, j’y vois surtout et simplement des êtres enfermés dans des boites, des boites sensibles qui gesticulent, interagissent, et se démènent comme elles peuvent pour donner un sens à leur petit bout de vie sur terre. Des êtres qui, à mes yeux, sont avant toute chose remplis de cette force divine dont ils sont l’essence même, mais qui bien souvent en ont à peine conscience.
La crise que nous vivons n’est pas seulement économique, climatique ou sanitaire, elle est aussi philosophique et spirituelle. Bien que cette situation semble être sans issue immédiate, elle a au moins le mérite de nous mettre face à de vastes interrogations universelles : qu’est-ce qui nous rend vraiment heureux ? Que peut-on considérer comme un véritable progrès ? Quelles sont les conditions d’une vie sociale harmonieuse ? Ce sont toutes ces questions qui me traversent et qui génèrent en moi un besoin de partager les quelques bribes de réponses que je découvre au fur et à mesure sur mon chemin. Tantôt évidentes, tantôt complexes, parfois illusoires et sûrement naïves, les notions que je tente de transmettre à travers mes créations n’ont pas pour vocation de défendre une vérité unique mais de refléter un parcours à la fois intime et personnel, artistique et philosophique, une quête de sens tout simplement. Oser exprimer nos pensées, quelles qu’elles soient, nos intuitions, nos doutes et nos peurs, sera toujours le point de départ d’un possible déplacement ou peut-être seulement d’une infime avancée qui à son tour nous permettra un jour d’atteindre un état plus élevé de conscience et donc de sérénité.
Ayant choisi la danse comme moyen d’expression, je cherche à exprimer ces notions au travers de corps en mouvement, car le corps, lui, ne ment jamais. La danse, comme toute autre forme d’art, est pour moi l’expression pure de l’âme. Lorsque l’on danse à coeur ouvert, l’âme qui vibre à l’intérieur peut alors parfois atteindre le coeur d’un autre s’il accepte lui aussi de s’ouvrir. La danse est ce langage universel qui unit tous les peuples, tous les âges, peu importe d’où l’on vienne et qui que l’on soit. Je perçois un corps en mouvement tout comme j’écoute une musique : l’art chorégraphique est pour moi un chant du corps visuel et graphique. Ainsi, tout comme jouer de la musique, danser peut se résumer à partager une vérité intérieure libérée de toutes limitations du langage. L’abstraction de la danse est en tous points ce qui en fait sa force et sa faiblesse, l’enjeu est donc de trouver l’équation parfaite permettant de rendre cette abstraction magiquement intelligible et, dans le meilleur des mondes, perceptible par tous. Je conçois donc l’art chorégraphique comme une célébration de l’humanité dans son état le plus instinctif, c’est pourquoi je m’efforce à chaque instant de révéler l’ineffable qui se trouve en chacun de nous. Travaillant une matière palpable, celle du corps, je la pétris en cherchant le plus souvent à retranscrire les effets physiques d’une « traversée ». Comment, par exemple, un corps peut se retrouver être traversé par une force gravitationnelle décuplée (P=mg), par un trouble psychique (Diagnostic F20.9) par la présence d’un ou des autres (Compact et Quintette), par l’absurdité d’un monde où l’on marche littéralement sur la tête (Reverse) ou encore par la décision arbitraire d’un groupe extérieur à qui l’on remet tous les pouvoirs en main (Carte Blanche). Je crée souvent en m’imposant une contrainte centrale, une sorte de défi personnel et propre à chacune de mes créations. J’utilise cette contrainte comme un combustible nourrissant le moteur de ma créativité, un appui essentiel, m’obligeant sur chaque nouveau projet à sortir de mes zones de confort quitte à parfois me perdre. Cela me permet néanmoins d’ouvrir des portes et de découvrir des nouveautés qui, sans cela, ne me seraient probablement jamais venues à l’esprit. Être capable d’innover tout en restant fidèle à une signature artistique qui m’est propre, oser prendre des risques quitte à perdre l’assentiment du public, telle est ma vision d’une quête entièrement parcourue qu’elle soit artistique ou philosophique.
J’aime finir par une citation du grand maître yogi B.K.S Iyengar dont l’oeuvre et la compréhension du corps sont pour moi une profonde source d’inspiration : ‘Tout l’enjeu est d’apprendre à faire de son corps non pas un obstacle mais l’instrument même de sa propre réalisation’
Jann Gallois
Biographie
En 2012, après un riche parcours d’interprète, Jann Gallois se lance dans l’écriture chorégraphique, fonde la Cie BurnOut et crée P=mg, solo neuf fois récompensé par des prix internationaux tels que le Prix Paris Jeune Talent et le Prix Beaumarchais-SACD à Paris, le Prix Solo-Tanz Theater à Stuttgart, le Prix Masdanza aux Canaries, le Prix Machol Shalem à Jérusalem, le Prix du Public HiverÔclites 2015 au CDC Les Hivernales à Avignon et le 1er Prix Solo Dance Contest de Gdansk en Pologne.
Très vite remarquée, Jann Gallois confirme sa signature artistique en échappant aux conventions de sa famille hip hop. Elle crée Diagnostic F20.9 en 2015 (une nouvelle fois en solo) ce qui lui a valu le titre de ‘Meilleur Espoir de l’année’ par le magazine allemand Tanz.
Implantée en région Ile-de-France, elle fut d’abord artiste associée au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France (2016-2017) avant de l’être à Chaillot – Théâtre National de la Danse (2017-2021), à la Maison de la Danse de Lyon (2017-2018), au Théâtre Paul Eluard de Bezons (2019-2022) ainsi qu’au Théâtre du Beauvaisis scène nationale de Beauvais (2020-2023). Depuis septembre 2022, Jann Gallois est artiste associée à la Maison des Arts de Créteil, et membre de la commission du Fonds d’aide à la Création Immersive du Centre National du Cinéma. Le 15 avril 2022, Roselyne Bachelot alors Ministre de la Culture la nomme « Officier de l’ordre des Arts et des Lettres ».
Depuis ses débuts, Jann Gallois a créé 10 pièces chorégraphiques :
- P=mg – 2013 – solo créé à l’occasion du prix SACD-Beaumarchais
- Diagnostic F20.9 – 2015 – solo créé au CDCN Atelier de Paris – Carolyn Carlson
- Compact – 2016 – duo créé au Festival Suresnes Cités Danse
- Carte Blanche – 2016 – trio créé à la Parenthèse – Festival off d’Avignon
- Quintette – 2017 – pièce pour 5 danseurs créée au Festival de Danse de Cannes
- Reverse – 2018 puis reprise en 2020 – pièce pour 5 danseurs créée à la Triennale de Yokohama – Japon
- Samsara – 2019 – pièce pour 7 danseurs créée à Chaillot – Théâtre National de la Danse
- Ineffable – 2021 – solo créé au Festival Montpellier Danse
- Mandala – 2021 – pièce pour 20 danseurs amateurs créé au Théâtre Paul Eluard de Bezons
- Imperfecto – 2022 – duo créé à Chaillot – Théâtre National de la Danse
Parallèlement à ses projets personnels, elle reçoit régulièrement des commandes. En Mai 2014, elle répond à la commande de la MPAA de Paris et crée Humanoïde, pièce pour 7 danseurs amateurs, en février 2017 Jann crée One Step One Dream au Burkina Faso pièce pour 5 danseurs burkinabés suite à une commande de l’Institut Français de Ouagadougou et en Juillet 2017 elle co-écrit avec le metteur en scène Lazare le duo L’éclosion des gorilles au cœur d’artichaut au Festival d’Avignon dans le cadre des Sujets à Vif. En Juillet 2022, elle co-écrit également Just your shadow avec le célèbre duo d’arts visuels Adrien M & Claire B présenté au Festival d’Avignon dans le cadre de la Nuit Immersive organisée par Tracks le magazine d’Arte et L’Adami.
Chacune de ces créations sont autant de pièces que d’univers et d’esthétiques uniques, allant d’une danse exigeante et précise à une théâtralité affirmée. Depuis la création de sa compagnie en 2012, Jann Gallois a diffusé la totalité de son répertoire avec plus de 400 représentations en France comme à l’étranger (Suisse, Espagne, Italie, Angleterre, Allemagne, Danemark, Israël, Brésil, Japon, Norvège, Laos, Russie, Panama, Burkina Faso…).